Au travers de ce résumé, le sociologue-chercheur Thomas Watkin partagera ses questionnements sur le design social. Plus précisément, nous nous intéresserons aux apports de la sociologie et du design dans la démarche de projet. Est-ce que la sociologie permet de penser le design ? Est-ce le design permet de penser la sociologie ?
Plan du podcast
Un sociologue chercheur en design social
Le projet une dynamique socialisante :
Les apports de la sociologie dans le projet en design
Designer et sociologue : une acculturation mutuelle par l’outil
« J’ai cherché à ne pas m’isoler dans une recherche, mais à voir la recherche comme une dynamique collaborative et inclusive avec d’autres acteurs. »
Thomas Watkin – sociologue
De l’architecture à la sociologie en passant par l’urbanisme
Le chercheur en sociologie Thomas Watkin étudie les phénomènes sociaux par l’enseignement, par des publications, par des enquêtes et par des interventions publiques. Après une formation d’architecte, il a entrepris des études en urbanisme, puis de sociologie. Suite à des expériences à l’étranger, il a développé un fort intérêt pour les phénomènes urbains.
« J’ai eu la possibilité de parcourir de nombreux environnements universitaires durant mon parcours et dans des environnements assez différent même culturellement. J’ai pu le faire en tant qu’étudiant et en tant qu’enseignant. J’ai eu un fort intérêt à me positionner en tant que chercheur dans le domaine social et sur les questions environnementales et urbaines. Puis progressivement, je me suis orienté sur la sociologie en tant que science et discipline, de manière à observer les phénomènes sociaux. […]
Quand on se retrouve dans un contexte étranger, c’est-à-dire d’être face à l’altérité, on a une autre position, et se met en place un processus de décentrement anthropologique – au sens méthodologique – pour comprendre des phénomènes. Aller aux Etats-Unis, m’a amené à m’interroger sur le regard sociologique, les phénomènes sociaux et urbains comme des causes et des effets de processus sociaux. Je pense que c’est le contexte américain qui m’a amené à transformer mon regard. Chaque sociologie correspond d’une certaine manière à un contexte. »
Thomas Watkin
Une recherche sociale et collaborative
En rejoignant l’équipe de recherche Projekt de l’Université de Nimes, Thomas Watkin collabore avec des designers, des anthropologues, des sémioticiens, des chercheurs en sciences de la communication, des urbanistes et des artistes… Tous placent au centre de leurs recherches le Design social : un champ du design qui porte sur l’innovation sociale. Il s’agit de concevoir un projet en prenant en compte les besoins des usagers et les enjeux sociétaux. Ainsi, la recherche est un moyen d’intégrer les acteurs des dynamiques sociales au projet et de faire collaborer .
« J’ai cherché à ne pas m’isoler dans une recherche, mais à voir la recherche comme une dynamique collaborative et inclusive avec d’autres acteurs. C’est-à-dire voir l’université comme lieu où se réalise la recherche, mais aussi avec d’autres acteurs. Mettre le travail de recherche en synergie avec les collectivités, locales, les municipalités, les associations, voir même les entreprises. »
Thomas Watkin
« Quand on crée des dynamiques participatives, on crée un réseau. Donc le faire localement, c’est une manière finalement de penser le projet comme une dynamique socialisante. »
Thomas Watkin – sociologue
Une thématique de recherche : la cohabitation intergénérationnelle
Les recherches sur l’habitat intergénérationnel de Thomas Watkin s’insèrent dans le programme de recherche Solidage de l’équipe Projekt : SOlidarité pour l’HAHbitat entre GEnérations.
« J’ai toujours travaillé sur les questions d’habitat, même en tant qu’architecte-urbaniste et sur les questions d’espaces publics. Actuellement, une recherche que je suis en train de mener porte sur la cohabitation intergénérationnelle. Pour cette recherche, il faut joindre deux publics totalement différents, deux dynamiques complètement différentes : les besoins ne sont pas les mêmes pour les jeunes et les personnes âgées. Pour cela il nous a fallu organiser des événements sur des temps relativement courts. On a adopté des principes pour que ces temps puissent être faisables pour les deux publics. On l’a appris en le faisant sans que cela soit un objectif à part entière. On y était sensible dès le début, parce qu’on savait qu’il y avait un enjeu. Par les ateliers, on a co-pensé, co-produit et en même temps interrogé sur les difficultés et les besoins de nos publics« .
Thomas Watkin
Une méthodologie de recherche hybridée entre sociologie et design
De par son parcours, Thomas Watkin développe des méthodologies de recherches polyvalentes composées d’architecture, d’urbanisme, de sociologie et de design. Ainsi, il travaille avec des designers pour mutualiser les besoins des seniors et des jeunes. De plus, le cadre de l’atelier est un moyen d’intégrer les acteurs dans la recherche. Cela permet de les réunir autour de questions communes pour comprendre leurs points de vue sur le projet.
« L’équipe que je mène sur le projet intègre deux designers, des psychologues, un organizer et une experte dans le domaine de l’habitat. Penser ou créer un dispositif passe par des expériences d’échange et de communication avec des acteurs. Quand on crée des dynamiques participatives, on crée un réseau. Donc le faire localement, c’est une manière finalement de penser le projet comme une dynamique socialisante. […] Pour moi, cette expérience a été une première manière de voir les effets du projet sur les acteurs. Ils voyaient le projet avec beaucoup d’intérêt, d’enthousiasme et y attendent des suites. Alors qu’au départ, ils avaient simplement reçu une invitation. Maintenant, ils veulent participer à l’édification du projet. Et la sociologie accompagne autant qu’elle se nourrit du projet.«
Thomas Watkin
« Penser la sociologie non pas comme un objet simplement à regarder, mais comme un projet à réaliser. Ici, cette définition est proche du design. »
Thomas Watkin – sociologue
Les apports de la sociologie dans le projet en design [17:41]
La place de la sociologie dans le projet de design
Parmi les sciences sociales du projet comme l’anthropologie et l’ethnographie, la sociologie est moins mise en avant. Selon Thomas Watkin, l’implication des sociologues dans le projet ne devrait pas se limiter à l’amont de celui-ci, comme dans les phases d’observation et d’enquêtes de terrain. Tout comme les designers qui interviennent tout au long du projet, est-ce que le sociologue pourrait faire de même ? Par exemple, en intervenant sur l’ensemble du projet, la sociologie permettrait d’élargir la problématique énoncée par le designer.
« Je ne pense pas que la sociologie devrait être simplement une discipline d’observation et de collecte d’informations de manière à nourrir le projet à ses débuts. Je pense que la sociologie intervient dans toutes les étapes du projet. […]
Je vois dans le domaine du design que l’anthropologie et l’ethnographie sont plus mises en avant. Je pense que la sociologie en même temps qu’elle englobe l’anthropologie et l’ethnographie est en même temps différente. Dans le sens où, elle permet de prendre de la distance par rapport aux dynamiques observées et aux enjeux du projet. Elle donne une consistance au projet pour essayer de répondre à des enjeux plus larges. C’est-à-dire prendre en compte la réponse donnée par le design, mais dans un contexte sociétal plus vaste. Je pense que c’est important, car aujourd’hui on est beaucoup plus amené à mettre en résonance les impératifs et les enjeux actuels auxquels nous faisons face. La sociologie, l’ethnographie et l’anthropologie sont complémentaires, mais la sociologie est aussi beaucoup plus contextuelle et vaste. Elle offre une distance critique plus importante entre des données subjectives et objectives pour mettre en tension les échelles sociales, l’individu, le groupe, la société. »
Thomas Watkin
Repenser la sociologie par le design
Thomas Watkin se questionne sur le risque potentiel d’instrumentalisation de la sociologie par le design pour justifier et légitimer la dimension sociale du projet. Et inversement, est-ce que la sociologie instrumentalise le design ?
« Par le projet pourrait se faire une sociologie. La dynamique de projet pourrait être le moyen d’entreprendre une analyse des phénomènes sociaux. Penser la sociologie non pas comme un objet simplement à regarder, mais comme un projet à réaliser. Ici, cette définition est proche du design. La dynamique du projet en design considère qu’on ne regarde pas simplement les choses et qu’on les met en action dans une pensée de projet. Si seulement pouvait-on penser la sociologie comme ça ? Cela voudrait dire que ceux qui font le projet pourraient être des sociologues, mais aussi bien évidemment les designers. On aurait un partenariat différent. […] Le sociologue interviendrait pour étudier et participer à l’action collective. Une participation du sociologue qui pose question en terme de distance et d’objectivité. Pour moi, ce dernier volet est encore expérimental. C’est-à-dire de travailler avec les designers pour repenser la sociologie. »
Thomas Watkin
La sociologie pour penser à une échelle communautaire
Dans le projet, la sociologie permet de classifier et de nommer les phénomènes sociaux. Ainsi, elle s’intéresse au langage et aux mots employés pour en déduire des informations pour nourrir le projet. Selon Thomas Watkin, l’un des apports de la sociologie au design est le changement d’échelle : passer de l’usager à la communauté. En effet, le designer peut parfois être trop focalisé sur les besoins de l’individu et moins sur ceux du groupe social dans lequel il s’intègre.
« C’est par la sociologie que sont nées les classes sociales et les termes de l’inégalité sociale. Le sociologue va définir le monde social et en le définissant il participe à cette catégorisation du monde social qui peut être négative pour celui-ci. Cette vue globale de la sociologie consiste à définir des termes et de mieux comprendre leur utilisation. Quand on est sur le terrain et qu’on essaie de comprendre les choses, il ne faut pas essayer de savoir uniquement « qui fait quoi » mais « qui parle comment » et « qui parle de quoi » […].
Un autre point de vue, c’est d’avoir une échelle peut-être sociétale. Au lieu de se centrer comme le designer autour de la figure de l’usager, la sociologie pense des dynamiques intermédiaires entre la société et l’individu. C’est pour ça que je m’intéresse à la communauté. Cela permettrait de ne pas individualiser son regard, sans non plus tomber dans le flou de la société : un ensemble qui n’a pas vraiment de pertinence pour essayer de comprendre les dynamiques de groupes, communautaires et collectives. »
Thomas Watkin
« Pour le designer, l’intérêt est de pouvoir par ces outils représenter visuellement une complexité. Ce support visuel n’est pas une fin en soi, mais simplement un moyen pour mieux comprendre les relations sociales. »
Thomas Watkin – sociologue
Designer et sociologue : une acculturation mutuelle [31:44]
Outiller le designer
Le designer dans le projet à recourt à quelques outils de la sociologie. Bien souvent, l’éventail d’outil à sa disposition est limité : soit par la temporalité du projet ou soit par ses connaissances. D’où, la nécessité pour le designer de s’associer avec des professionnels des sciences sociales pour développer une analyse plus fine et approfondir ses compétences.
« Il y a certaines limites à mettre en place certaines études pour des raisons purement logistiques et de temps, car certaines méthodes de la sociologie portent quelquefois sur des objets d’enquête, qui sont beaucoup plus conséquent que les enquêtes menées par les designers. On est moins sur des enquêtes statistiques de l’INSEE , sur des gros corpus d’informations et de données d’enquête. Dans ce sens-là, je pense que le designer en est très très loin. […]
Il peut y avoir des approches qui ne relèvent pas simplement de l’observation à proprement parler et qui peuvent être utilisées par le designer. Par exemple, l’analyse de réseau permet de cartographier les relations sociales, idiomatiques et spatiales… Je pense que c’est plus adapté au designer, car de l’analyse de réseau peut résulter une représentation visuelle. Pour le designer, l’intérêt est de pouvoir par ces outils représenter visuellement une complexité. Ce support visuel n’est pas une fin en soi, mais simplement un moyen pour mieux comprendre les relations sociales. Elle est d’un coup une dimension beaucoup plus tangible. […]
Le designer met beaucoup en avant sa relation individualisée avec l’usager, chose qui ne serait pas considérée par d’autres disciplines du projet. Il faudrait aussi élargir dans l’enseignement du design des apports de l’analyse relationnelle, de la géographie et des différents types d’analyses sensibles, qui vont permettre de compléter ce regard et cette dynamique de projet. »
Thomas Watkin
La temporalité, une des spécificités du design ?
Selon Thomas Watkin, la spécificité du design est sa temporalité courte, plus que l’échelle du projet. Dans le cadre de nouveaux aménagements urbains, il est plus difficile de mettre en place une pensée itérative et à court terme. Peut-être qu’en associant l’approche de design à des disciplines ayant des temporalités longues, cela permettrait de produire ces solutions à court terme. Est-ce que l’inverse serait également souhaitable ?
« Est-il question d’échelle ? Dans le design de service, les designers qui sont habitués à « l’objet » se trouvent littéralement dépassés quand l’objet les dépasse physiquement. Une spécificité du design par rapport à d’autres disciplines du projet, c’est d’être dans une logique du court terme : de pouvoir prévoir et planifier ce court terme […]
Les architectes vont produire aussi des objets qui relèveraient du design ou du travail du designer, mais peut-être pas dans cette logique temporelle du designer de service. C’est-à-dire de voir ces productions comme étant simplement une étape de recherche de réponse à des besoins. Et là, il y a une différence à mon avis. C’est pour ça que le design se développe dans des domaines très variés et qui n’ont rien à voir avec ce que l’architecte pourrait faire. Par exemple, le design de service va prendre en compte cette dimension temporelle différemment pour penser le projet, interroger et proposer.«
Thomas Watkin
« C’est de pouvoir d’un coup se décentrer et se positionner autrement. Le dépaysement, le voyage, sont des dynamiques qui facilitent ce décentrement anthropologique et qui stimulent la subjectivité du sociologue. »
Thomas Watkin – sociologue
Mieux comprendre la société au travers du projet [45:57]
De la recherche-projet à l’enquête-projet
« Nous, les chercheurs de l’équipe Projekt, sommes portés sur la recherche-projet plutôt que sur la recherche-action. Je prône au lieu d’une recherche projet une enquête-projet. C’est-à-dire que par le projet, on fait une enquête sociologique pour mieux comprendre certains phénomènes. En cela, ça ne veut pas dire diminuer le projet. On voit bien que par le projet, on peut comprendre la société. C’est voir aussi la sociologie comme une finalité opérante. Ce n’est pas simplement à partir du projet enquêter sur les transformations du monde social, mais par le projet de mieux construire des actions de légitimation, de reconnaissance, de respect et d’engagement. Même si l’objet en tant que tel du projet ne correspond pas à cela. C’est indispensable dans un monde aussi mutant que le nôtre. […]Les médias vont souvent interpeller le sociologue comme étant le sachant des phénomènes sociaux, comme étant le sachant au moment des crises. Quand il y a un événement qui arrive on ne sait pas exactement ce qui se passe. Quand on fait une recherche, ça nous prend 3 ou 4 ans. On arrive avec un ouvrage pour parler d’un phénomène qui est déjà passé. On ne peut pas être des intervenants pour mettre en lumière ce qui se passe dans le monde contemporain. […]Par le projet on ferait de la recherche. Ce n’est pas faire simplement une enquête qui prendrait du temps pour ensuite en tirer des ouvrages et des articles lus d’ailleurs que par la communauté des sociologues et des scientifiques. C’est peut-être voir la sociologie comme étant plus en accord et en communication avec les acteurs touchés et moins touchés. On pourrait de cette manière-là répondre à certain enjeu contemporains : ceux du risque, de la mobilité, de l’altérité et de la différence, mais aussi d’un « désancrage » culturel (interculturalité) et de tensions sociales. Ainsi, la sociologie pourrait être plus proche des médias et des acteurs pour pouvoir les éclairer sur ces transformations. »Thomas Watkin
Voyager pour s’améliorer dans sa pratique
« Je pense que pour débuter ou améliorer sa pratique il est nécessaire de bouger culturellement : le fait de bouger d’un pays à l’autre dans un contexte idiomatique différent, de devoir redoubler d’efforts et d’énergie pour essayer de faire face à ces différences et donc aussi de s’interroger sur les pratiques. […] Ce rapport de différence culturelle est très enrichissant. En étant revenu en France, souvent je me retrouve avec des chercheurs ayant fait des carrières longues et compétents dans leur domaine. Mais, ils n’ont aucun autre point de vue, car ils ne connaissent que leur contexte culturel. Ils n’ont peut-être pas toujours ces questions en tête : « Et l’autre, qu’est-ce qu’il pense ? Et si j’étais dans cette situation comment je ferais ? » C’est de pouvoir d’un coup se décentrer et se positionner autrement. Le dépaysement, le voyage, sont des dynamiques qui facilitent ce décentrement anthropologique et qui stimulent la subjectivité du sociologue.«Thomas Watkin
écrit par Erika Cupit – Designer de service public
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